⛔️ Appel clôturé – Numéro du JAR|RGA
📅 | Dates limites : 1er novembre 2023 (résumés), 1er mars 2024 (articles) |
Trajectoires et recompositions des bassins de production agricole intensifs en montagne
Ce numéro spécial du Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine s’intéresse aux bassins de production agricole intensifiés des montagnes, particulièrement européennes, et à leurs évolutions contemporaines à l’heure des transitions productives et environnementales.
De la formation de « petites Bretagne » en montagne
À côté d’une image « pastorale » et à haute valeur environnementale fréquemment associée à la montagne, plusieurs massifs de moyenne altitude ou des zones de piémont ont connu une trajectoire remarquable d’intensification agricole, en particulier dans l’élevage.
L’après-guerre, et surtout les années 1960, a ainsi été marqués par un mouvement structurel de croissance agricole et de gains de productivité connu sous l’expression de « révolution agricole » qui a profondément et durablement transformé des territoires entiers — l’exemple le plus emblématique en France est la Bretagne. Elle a également touché des territoires d’altitude, dans le Massif central (Ségalas, Châtaigneraie, monts du Lyonnais, Pilat), les Alpes du Sud (Champsaur), voire les Alpes du Nord (Trièves, Zone Franche) ou le piémont pyrénéen. Des phénomènes semblables s’observent ailleurs en Europe, comme dans les monts Cantabriques et les Asturies, les piémonts bavarois et autrichiens, l’Eifel, voire le Moyen Pays suisse. On rencontre enfin des configurations voisines en Europe centrale, comme dans l’Orava slovaque ou les montagnes du pourtour de la Bohème. La production laitière est très souvent à la base de ces dynamiques, mais des mouvements similaires s’observent aussi autour de l’arboriculture (Trentin [Dumont et al., 2016], dans le Limousin avec ses vergers de pommiers), de l’élevage allaitant (Aubrac), voire de l’élevage porcin (Ségalas) ou des céréales (plateau de Valensole).
Le propos n’est pas de retracer ici cet épisode de modernisation dont on se contentera de rappeler les faits : des régions paysannes souvent pauvres et en tout cas non spécialisées se lancent dans des formes d’agriculture intensive, sous l’impulsion d’un milieu agricole dynamique et d’organisations collectives fortes (syndicats, coopératives, etc.). Il renvoie à quelques mots clefs communs : sélection génétique ou variétale, intensification fourragère, transformation industrielle dans des usines parfois localisées dans des villes voisines. Il concerne de vieilles terres de polyculture/poly-élevage — de montagne mais d’altitude modérée — et a conduit à la création de territoires cohérents, de petite dimension, associant une logique productive et des outils de transformation modernes. On connaît les conséquences de ce mouvement sur le milieu professionnel (passage de la ferme paysanne à l’exploitation agricole modernisée) et l’espace rural (bâtiments agricoles modernes en périphérie des villages, dense réseau d’industries de transformation), comme ses dérives progressives : surproduction, transformation des paysages, problèmes environnementaux, etc.
Plusieurs auteurs ont largement abordé ces problématiques dans les années 1970 à 1990, à la faveur d’analyses régionales relatives à la montagne françaises (Collectif, 1999) ou de travaux sur les filières (Ricard, 1994, sur l’élevage bovin laitier). Ils soulignent que ces territoires, éloignés de toute tradition fromagère et donc étrangers à l’univers des AOC/AOP, ont dû rechercher d’autres formes de valorisation de leur matière première (lait UHT, yaourts et produits frais, fromages génériques), en s’appuyant sur des usines modernes et des marques. Depuis le tournant du siècle en revanche, la recherche s’est surtout polarisée sur les impasses de cette forme de modernisation, qui n’est plus aujourd’hui perçue comme un « modèle », mais plutôt comme un simple « système », critiquable pour de nombreux observateurs.
Les bassins de production agricole intensifs de montagne aujourd’hui : remise en cause et trajectoires d’adaptation
Depuis une ou deux générations, ces bassins de production agricole intensifs d’altitude connaissent des évolutions importantes (Schott et al., 2018 ; Dervillé et al., 2012) sous l’effet de nombreux facteurs de mutation : évolution vers des marchés agricoles concurrentiels, restructuration de l’outil agroalimentaire (avec l’arrivée de groupes industriels extérieurs à la montagne), évolution des politiques publiques (Politique agricole commune avec sa politique de quotas laitiers [1984-2015] ou ses dispositifs agri-environnementaux), défis sociaux (problématique de la main-d’œuvre, transmission des exploitations ; Manoli et al., 2020.), remises en cause citoyennes de ce modèle intensif, sans parler des modifications de la demande (recul de la consommation de lait, voire de yaourts ; désir de proximité et de différenciation des produits).
Ces territoires montrent des trajectoires d’ensemble assez similaires où une phase de croissance presque sans limite (années 1960 et 1970) précède des processus d’adaptation qui s’imposent (années 1990), par nécessité et par réaction propre du milieu local, ces trajectoires pouvant déboucher avec le temps sur de véritables transitions vers de nouveaux modèles productifs et d’organisation de ces territoires. Les bifurcations et les ruptures que l’on constate dans ces trajectoires contemporaines renvoient à des dynamiques de moyen/long terme qui interrogent sur la temporalité et la chronologie du mouvement, comme sur les moteurs du changement (rôle du milieu local, du politique, des entreprises de transformation, de la demande, des modes de consommation, éventuellement des technologies de transformation). Les trajectoires révèlent donc des capacités et des formes d’adaptation diversifiés qui peuvent être techniques, socio-économiques ou commerciales, souvent les trois à la fois. Sur le plan technique, elles passent souvent par une amélioration du « modèle », en clair du système productif intensif fondé sur le maïs ensilage, mais peuvent aussi faire intervenir une plus grande réflexion agronomique, surtout depuis les années 2010 (pratiques agroécologiques, légumineuses, systèmes de semis direct, réflexions sur le changement climatique). Mais l’adaptation peut aussi passer par des démarches individuelles ou collectives qui s’inscrivent alors dans des dynamiques de développement territorial : réorientation vers le bio ou la transformation fermière, émergence de collectifs cherchant par exemple à mieux valoriser le foin, dans le Massif central comme sur le piémont autrichien (Landel et al. 2018).
Ces adaptations se traduisent par des effets de transition diversifiés qui mélangent comportements individuels et collectifs, action des producteurs et des transformateurs, niveau de soutien des organisations professionnelles agricoles ou des pouvoirs publics. La transition dépasse largement le cas des seuls agriculteurs pour s’inscrire dans un contexte de filières (ce qui pose la question de leur contrôle par des entreprises de plus en plus lointaines) et de territoires (recherche d’un meilleur ancrage des productions, valorisation du local) et débouche souvent sur une meilleure prise en compte de la dimension environnementales (bio certes, mais aussi reconquête paysagère, adoption de pratiques plus vertueuses, recherche de labellisations associées à une dénomination environnementale, de type Haute valeur environnementale (HVE) ou les marques « Parc ». Y a-t-il alors transition vers d’autres « modèles » agricoles et agroalimentaires ? Le mécanisme ne masque-t-il pas une très grande diversité des situations permettant de caractériser des formes de coexistence de différentes filières et différents « modèles » d’exploitations (Galliano et al., 2017 ; Gasselin et al., 2021)
Axes de recherches proposés
Le Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine souhaite mobiliser des chercheurs susceptibles de revisiter ces territoires agricoles de montagne ayant fait le choix de l’intensification, il y a désormais deux générations. Les orientations de ce numéro visent à analyser les parcours contemporains de ces territoires en s’interrogeant sur les modalités des processus à l’œuvre (vitesse, intensité, effets de trajectoires, d’adaptation, de transition, d’hybridation) et sur les parcours respectifs de ces territoires, oscillant entre réorientations éventuelles, innovations sociotechniques et poursuite du développement intensif. Les approches se veulent donc à la fois globales et régionales (études de cas avec une visée analytique et théorique) et peuvent relever des champs scientifiques de la géographie, de l’économie, de la sociologie, de l’agronomie/zootechnie, voire de l’histoire. Des contributions spécifiques sur ce type de bassins de production situés hors de France seront d’autant plus bienvenues qu’elles combleraient un évident déficit de connaissance. Nous proposons ici trois axes de recherche indicatifs qui semblent synthétiser les principales évolutions que l’on constate aujourd’hui dans ce type de territoires.
• Axe 1. Analyser et prolonger la trajectoire
Une première forme d’évolution réside dans l’expression d’une volonté de poursuite de la trajectoire, dans des territoires demeurés fidèles à leurs orientations initiales mais confrontés à des exigences de compétitivité (des exploitations et de l’outil industriel) propres à leur engagement dans des filières livrant des produits agroindustriels peu différenciés, dans un contexte montagnard déjà contraignant. De tels bassins peuvent-ils poursuivre leur développement originel en contexte de plus en plus concurrentiel ? Les grands groupes (laitiers) qui y sont souvent très implantés continuent-ils de les percevoir comme des bassins intéressants ou des marges de peu d’intérêt ? Comment analyser l’impact de la PAC qui a affecté les moyennes montagnes européennes dans des temporalités différentes, avec des réorientations, dans ces milieux où s’exercent des formes de compétition des soutiens entre les systèmes de production et les pratiques (Nigmann et al., 2018.) ? Quelle est l’acuité des questions environnementales dans ces territoires ? Quelle est la place des orientations alternatives dans ces milieux pourtant assez homogènes ? Quels sont les effets de contexte géographique local (rôle de la demande périurbaine en produits différenciés) ? Des textes de nature davantage historique et retraçant ces trajectoires sont aussi les bienvenus.
• Axe 2. Innovations et recherche de nouvelles trajectoires
Les cas de différenciation et d’hybridation des trajectoires se généralisent dans ces massifs où se mêlent aujourd’hui production intensive, transformation industrielle toujours dominante, mais aussi diversification, proximité et montée en gamme (bio, nouvelles AOP, zones d’AOP très étendues, lait de foin, oméga 3, etc.). Ces trajectoires peuvent déboucher sur de véritables transitions, avec des territoires qui se recomposent par réorientations productives, nouvelles façons de produire, meilleure prise en compte des impératifs sociaux ou environnementaux. L’adaptation peut se traduire par des mécanismes de réorientation plus généraux, vers des activités agri-rurales (accueil à la ferme et tourisme, production d’énergie, offre de services, etc.), vers un élevage extensif valorisant mieux l’herbe ou d’autres productions (petits fruits, plantes aromatiques et médicinales). Quelle est la place des innovations sociales locales, des acteurs locaux, des nouvelles politiques publiques ?
• Axe 3. Épuisement ou effacement d’une trajectoire productive
La logique d’épuisement concerne des territoires qui, marqués plus que d’autres par un déficit de compétitivité (contrainte altitudinale et/ou climatique), la petite taille du bassin de production (laitier) ou une localisation pénalisante, finissent par se détourner de ce modèle intensif. Les trajectoires sont alors variées selon les territoires, mais incontestablement récessives et se traduisent par un recul et une concentration spatiale de la production et un repli, voire une perte de l’outil industriel (Renwick et al., 2013.). Quelles sont alors les conséquences sur le tissu social ? Sur les paysages et le patrimoine agri-rural ? Quelles actions collectives sont mises en œuvre pour y remédier ? Quelle est la place d’éventuels processus de renouveau à base non agricole ?
Cet argumentaire souhaite avant tout cerner une thématique générale, commune à de nombreuses régions de moyenne montagne en Europe et fondée sur l’adaptation de territoires organisés par la révolution agricole en bassins de production intensifs et confrontés à de nouveaux enjeux. L’appel à article, très ouvert, peut concerner des approches disciplinaires différentes (géographie, économie, agronomie, histoire, sociologie, ethnologie, etc.) et souhaite recueillir des textes concernant toutes les filières (non uniquement laitière) et l’ensemble des moyennes montagnes européennes, voire au-delà. Les propositions pourront être globales ou concerner un territoire en particulier.
Rubrique « Transitions »
À travers la rubrique « Transitions », le JAR|RGA souhaite proposer un espace de dialogue entre acteurs du territoire et scientifiques sur les manières dont les populations, les territoires et/ou les chercheurs s’engagent et font vivre les différentes formes possibles de transition dans un monde en crise.
En lien avec les thématiques des numéros, cette rubrique propose d’accueillir des articles courts (12 000 signes maximum) de la part d’auteurs issus du monde académique comme des territoires et mettant en discussion des initiatives de transition citoyennes, institutionnelles, associatives ou scientifiques émergeant dans et pour les territoires de montagne.
Ces articles peuvent revêtir des formes variées : témoignage et mise en discussion, interview, récit, mobilisation de vidéo etc. Les contributions ne sont pas soumises aux mêmes exigences académiques que les articles longs, mais seront évaluées en comité de rédaction avant avis final.
Les propositions pour cette rubrique sont à envoyer à Anouk Bonnemains (anouk.bonnemains@unil.ch) et Maud Hirczak (maud.hirczak@univ-amu.fr)
Bibliographie
- Collectif, 1999.– Moyennes montagnes européennes, Clermont-Ferrand, CERAMAC, 645 p.
- Dervillé, M., Vandenbroucke, P., & Bazin, G., 2012.– « Suppression des quotas et nouvelles formes de régulation de l’économie laitière : les conditions patrimoniales du maintien de la production laitière en montagne », Revue de la régulation. Capitalisme, institutions, pouvoirs, no 12.
- Dumont, B., Dupraz P., Aubin, J., Batka, M., Beldame, D. et al., 2016.– Rôles, impacts et services issus des élevages en Europe, Rapport final, ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, 1032 p.
- Galliano D., Lallau B., Touzard J.-M., 2017.– « Coexistences et transitions dans l’agriculture », Revue française de Socio-Économie, no 18, p. 23-30. DOI : https://doi.org/10.3917/rfse.018.0023.
DOI : 10.3917/rfse.018.0023 - Gasselin P., Lardon S., Cerdan C., Loudiyi S., Sautier D., 2021.– Coexistence et confrontation des modèles agricoles et alimentaires. Un nouveau paradigme du développement territorial ?, Éditions Quae, Versailles, 395 p.
DOI : 10.35690/978-2-7592-3243-7 - Landel, P. A., Koop, K., & Senil, N., 2018.– « Quand l’innovation sociale change la dynamique des territoires de montagne », dans M.-C. Fourny (éd.), Montagnes en mouvements. Dynamiques territoriales et innovation sociale, Presses universitaires de Grenoble/UGA Éditions, Grenoble, p. 21-43.
- Manoli, C., Choisis, J. P., Ladet, S., & Gibon, A., 2020.– « Transmissions de l’exploitation en moyenne montagne pyrénéenne : ruptures et continuités », L’agriculture en famille : travailler, réinventer, transmettre, EDP Sciences, p. 339-360.
- Nigmann, T., Dax, T. Hovorka, G. 2018.– « Applying a social-ecological approach to enhancing provision of public goods through agriculture and forestry activities across the European Union », Studies in Agricultural Economics, vol. 120, no 1, p. 1-7.
DOI : 10.7896/j.1721 - Renwick, A., Jansson, T., Verburg, P. H., Revoredo-Giha, C., Britz, W., Gocht, A., & McCracken, D., 2013.– « Policy reform and agricultural land abandonment in the EU », Land use policy, vol. 30, no 1, p. 446-457.
- Ricard D., 1994.– Les montagnes fromagères en France, Terroirs, Agriculture de qualité et appellations d’origine, Clermont-Ferrand, PUBP, 496 p.
- Schott C., Mignolet C. & Puech T., 2018.– « Dynamiques passées des systèmes agricoles en France : une spécialisation des exploitations et des territoires depuis les années 1970 », Fourrages, no 235, p. 153-161.
Comité de suivi éditorial
Comité de suivi pour le Journal of Alpine Research|Revue de géographie alpine
➡️ Pour plus d’info : https://journals.openedition.org/rga/11543